Ninne Communication - Agence pour femmes dirigeantes - interview Dorine Bourneton

Dorine Bourneton, nous impressionne autant qu’elle nous inspire. Son parcours est un modèle de persévérance et de dépassement de soi. Aviatrice, écrivaine et conférencière française, elle est la première femme au monde, en situation de handicap, à devenir pilote de voltige aérienne. Unique rescapée d’un accident d’avion à l’âge de 16 ans, à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais, avec elle rien n’est impossible.

Elle répond à nos questions et nous partage avec authenticité ses combats, ses projets et ses rêves.

Tu es bien meilleure que celle que tu crois être. Tu es un être en devenir. »

  • Qu’est-ce qui vous a décidé à devenir pilote ?

Quand j’étais petite, mes modèles étaient essentiellement masculins, je voulais ressembler à un garçon.

Mon père qui était chauffeur de taxi et ambulancier, a un jour décidé de vivre de sa passion en devenant pilote, une partie de son temps. Après quelques temps, il a demandé à mon frère si ça l’intéressait de devenir aviateur. La question ne m’était pas adressée, j’ai quand même dit que, moi je voulais ! Ce à quoi, il a répondu “Pourquoi pas ! » Mais avec mon père, il fallait que je devienne la première… à faire quelque chose de plus grand, que je sois une héroïne tout de suite.

Lorsque je me suis mise à piloter, je voulais utiliser l’avion comme le faisaient les pilotes héros de l’Aéropostale lorsqu’ils transportaient du courrier, comme Mermoz, Guillaumet, Saint-Exupéry.

“J’ai fait mon premier vol solo à 15 ans.”

À 15 ans, j’ai vécu une expérience qui m’a marquée à tout jamais : « le lâcher ». Il s’agit du premier jour où vous volez seul dans un avion ! Je peux vous dire que vous n’en menez pas large, vous ressentez une peur indescriptible. Si vous vous écoutez, vous vous dites que vous allez vous tuer.

Donc vous vous concentrez sur ce que vous savez faire, sur ce que votre instructeur vous a appris et vous êtes obligée d’avoir confiance parce qu’il vous fait confiance en vous laissant partir seule.

C’est pour cette raison que je dis souvent que la confiance ne vient pas de soi mais des autres. Si j’y suis arrivée, c’est parce que mon instructeur m’a fait confiance et m’a dit : “Tu fais comme d’habitude, surtout ne change rien, tu sais faire.”

Ce sont les autres qui vous poussent à vous dépasser et à aller de l’avant.

 

  • Comment réagit-on après un accident comme le vôtre ? Avez-vous pensé à arrêter de voler ?

J’étais la seule rescapée. Je suis restée douze heures, dans la neige et le froid, à attendre les secours. Quand je me suis réveillée, je ne sentais plus mes jambes.

J’étais déboussolée !

À ce moment-là, j’ai vraiment eu du mal à me projeter. Mais c’est vrai que l’envie de voler ne m’a jamais quittée.

“J’ai refait mon premier vol trois semaines seulement après l’accident.”

Alors que mon père me transportait de l’hôpital au centre de rééducation, il a décidé de passer par l’aéro-club en me disant qu’ils avaient préparé une petite fête pour moi.

Voilà, c’est comme ça que je me suis retrouvée à l’aéro-club et que mon instructeur m’a proposé de faire un vol.

J’avais très, très peur, évidemment. Mais ça s’est bien passé et ça m’a aidé à retrouver confiance en moi. J’ai compris que l’on peut tomber, mais qu’il faut se relever.

 

  • Comment avez-vous « réappris » à devenir pilote ? Qu’est-ce qui a changé ?

Si j’ai pu aller au-delà de ma peur c’est parce que j’ai eu cet accident d’avion.

Quand on a un accident, pour celui qui ne l’a pas vécu, c’est totalement abstrait.

Moi, j’ai tout ressenti : la peur de mourir, le froid, les odeurs, la violence, le choc. J’avais trois cadavres autour de moi… Les sensations se sont inscrites en moi. Un accident, c’est quelque chose de très concret. Si un grand nombre de mes souvenirs se sont effacés de ma mémoire, mon corps et mon inconscient s’en souviennent, quelque part subsiste un traumatisme.

Dès lors que j’ai eu cet accident, j’ai perdu la possibilité de faire tout ce que j’aimais, le vélo, danser, crapahuter dans les arbres, faire du patin à roulettes, courir…

Voler à nouveau, c’était pour moi une façon de ne pas rester sur l’échec de l’accident et de continuer à aller de l’avant.

 

  • Qu’est-ce que ça fait d’avoir la Légion d’honneur après tout ce que vous avez traversé ? Qu’est-ce que ça signifie pour vous ?  

Quand j’ai eu la Légion d’honneur, je me suis dit que j’étais un peu jeune ! Mais voilà, j’ai eu aussi un accident très jeune…  Est-ce qu’au fond, j’aurais préféré ne pas avoir cet accident et peut-être faire moins de choses dans ma vie, obtenir moins de récompenses, mais avoir mes jambes ?

On ne se console jamais d’avoir perdu ses jambes, on perd sa liberté.

Ce qu’on voit aujourd’hui de moi, ce sont les récompenses, les victoires et les réussites.

Mais derrière tout ça, ce sont des combats, des souffrances, des humiliations, des batailles, des luttes, des difficultés, des moments de découragement, des pauses, et tous les demi-tours.

Je suis très fière de tout ce que j’ai fait, je veux vraiment transmettre des messages positifs et en premier lieu à ma fille Charline. On peut y arriver même si on est une femme, et même si on est une femme handicapée. C’est la preuve que tous les rêves sont possibles, tous les espoirs sont permis.

 

  • Vous êtes impliquées au sein de plusieurs associations : HANVOL la Fondation Antoine de Saint-Exupéry, ENVIE D’ENVOL, IRME … Pourquoi est-ce important pour vous une telle implication ?

L’IRME est l’Institut de Recherche pour la Moelle Épinière et l’Encéphale. Ce lieu, qui doit ouvrir ce mois-ci, fonctionnera, grâce aux dons d’entreprises, pour accueillir des blessés médullaires, paraplégiques, tétraplégiques ou atteints de maladies invalidantes comme la sclérose en plaques.

Ce centre d’aide à la rééducation donne la possibilité de remarcher à l’aide d’un exosquelette, en mettant en place un protocole de rééducation et de renforcement musculaire. Peut-être qu’un jour on pourra, réparer des moelles épinières comme la mienne, qui ont été abîmées et refaire marcher les personnes handicapées.

Ce qui donne un espoir fou, c’est que nous sommes au tout début de cette aventure.

 

  • Pour vous, en quoi est-ce important de jouer un rôle là-dedans ?

C’est fondamental ! Et c’est vrai qu’en même temps, si je n’avais pas eu tout ce parcours de vie, ce n’est pas moi qu’on aurait choisie comme marraine !

C’est rare et je suis très heureuse d’avoir pu faire quelque chose d’utile de mon accident, d’avoir su lui donner un sens et de ne pas être restée sur un échec.

J’ai voulu en faire quelque chose de positif.

 

  • Vous nous donnez l’impression d’être toujours positive, même si l’on devine qu’il faut beaucoup de courage pour être aussi rayonnante

Il faut être courageux, le monde et la vie sont très difficiles, mais pour tout le monde, en fait, c’est ça que j’aimerais que l’on comprenne. Il faut cultiver son jardin secret pour être positif. Toutes les personnes qui ont réussi dans la vie sont positives.

C’est important de prendre soin de son langage. Si vous employez certains mots plutôt que d’autres, votre monde, votre réalité, votre perception du monde de la vie vont changer.

Et c’est tout cela que les femmes sont capables de faire, et elles l’ont appris parce qu’elles y ont été contraintes.

C’est comme le handicap, ça vous oblige à vous dépasser. Si vous voulez avancer, il faut vous former, apprendre et être à l’écoute.

C’est en se dépassant sans cesse, en sachant se remettre en question qu’on avance. Les femmes ont cette sensibilité-là. Il nous manque juste ce petit « truc » qu’on appelle la confiance en soi !

Je me dis toujours avant de décoller et je le dis aussi à ma fille : “Tu es bien meilleure que celle que tu crois être. Tu es au-delà de celle que tu crois. Tu es un être en devenir.”

 

  • Aujourd’hui, vous pratiquez la voltige aérienne. Pourquoi et comment avez-vous décidé d’en faire ?

La voltige, c’était un rêve !

Avant c’était une discipline interdite pour les personnes handicapées.

J’avais envie de faire de la voltige parce que j’avais envie d’atteindre un niveau d’excellence.

Quand vous maîtrisez à la perfection la machine, vous avez ce sentiment de danser dans le ciel et de retrouver une certaine forme de liberté. Je voulais faire de la voltige pour les beaux gestes, les belles figures dans le ciel, les looping ! La voltige, c’est aussi de la poésie, c’est ce qui illumine la vie.

En démarrant la voltige, je me suis fixée un objectif très élevé, celui d’aller au Bourget !

Quelle expérience ! Vous avez la piste face à vous et vous ne pouvez pas dépasser ni à droite ni à gauche, il faut tout anticiper à 250 km heure ! Vous avez 2 secondes pour réagir. Et j’y suis arrivée ! J’étais la première femme en situation de handicap à aller au Bourget !

 

  • Seulement 2% des rues en France portent un nom de femme. Ça vous fait quoi d’avoir une rue à votre nom ?

Pour le nom de la rue qui porte mon nom, c’est une rue qui n’est pas loin de chez moi dans mon village. Je suis fière de la Rue Bourneton !

Je précise que ce n’est pas une rue, mais une impasse qui mène à un stade de foot…

 

  • Aujourd’hui, les femmes se sentent quand même souvent à contre-courant dans le monde de l’entreprise. Comment avez-vous vécu votre évolution dans ce milieu de l’aviation ultra masculin ?

On n’échoue jamais à cause de ses opposants, mais faute d’alliés.

La grande chance que j’ai eue, tout au long de mon parcours, c’est d’avoir pu m’appuyer sur des personnes ayant cru en moi, qui m’ont fait confiance, m’ont aidée, épaulée et accompagnée.

J’ai souvent été aidée par des hommes qui avaient une sensibilité féminine, qui m’ont coachée, accompagnée et m’ont permis d’exister. Il s’agissait de personnes bienveillantes sans ego qui m’ont toujours mise en valeur. Ça m’a donné confiance et petit à petit j’ai cheminé dans ce monde d’hommes.

 

  • Chez Ninne, nous travaillons sur la visibilité des femmes et plus particulièrement les femmes dirigeantes qui se sentent souvent à contre-courant dans le monde de l’entreprise. Qu’avez-vous à leur dire ?

Il faut trouver des alliés sur qui se reposer, sur lesquels prendre appui pour avancer. Il faut que ce soit du gagnant-gagnant. Moi, ça a toujours fonctionné parce que j’ai rendu ce qu’on me donnait. Je crois beaucoup aux binômes, quand on avance à deux, hommes ou femmes.

 

  • Nous percevons une grande capacité à fédérer autour de vous, avec une vision, un projet. Est-ce que vous en avez conscience ?

J’ai toujours su qu’on ne peut rien faire seule parce qu’on ne dispose pas de toutes les compétences pour mener un projet à bien jusqu’au bout. Il faut déjà être dans l’écoute, la bienveillance et il faut que chacun ait un rôle à jouer, quelque chose à gagner.

J’ai réussi à fédérer car j’ai laissé de la place aux autres.

Quand je me suis battue pour faire changer la loi pour les clubs professionnels, je ne l’ai pas fait que pour moi, mais aussi pour mes copains pilotes handicapés qui voulaient devenir instructeurs et pilotes pro.

J’ai besoin de partager. C’est essentiel pour moi. C’est aussi pour ça que j’ai voulu devenir maman, pour partager.

 

  • Comment avez-vous géré le regard porté sur vous après l’accident ? Qu’est-ce que vous aimeriez qu’on dise de vous aujourd’hui ?

J’aimerais qu’on dise que : « Dorine a toujours vécu debout ! Elle est courageuse, va toujours de l’avant, contre vents et marées ! »

Je suis une battante, je n’ai pas eu le choix en réalité. Il faut donner un sens à sa vie.

Sachez mesdames, que vous êtes bien meilleures que celles que vous croyez être !

Même si on échoue, ce n’est pas grave, on fait autrement, on recommence, on ouvre une autre porte, une autre possibilité. Ne jamais se décourager !

Il faut se mettre en mouvement, c’est le plus important.

Souvent je dis dans mes conférences que ce qui compte, c’est le premier pas et derrière chaque pas, il y a une liberté !

Pour moi, le premier pas aura été de passer mon permis de conduire. Et la porte suivante c’était le brevet de pilote.

 

  • Il nous reste une dernière question. Quels sont vos projets ? Et, de quoi rêvez-vous aujourd’hui ?

J’aimerais bien continuer d’être conseillère municipale à Boulogne. Et pourquoi pas devenir maire adjointe, un jour, c’est peut-être un rêve !

Les maires et leurs adjoints sont vraiment sur le terrain, ils ont les mains dans le cambouis, au service des administrés et je trouve ça passionnant.

Mon autre rêve c’est que tout le monde puisse un jour marcher, vivre debout. Être debout !

Et puis un dernier ! Ce serait que ma fille réussisse son rêve à elle et qu’elle devienne astrophysicienne !