Gill Whitty-Collins

S’appuyant sur une ascension professionnelle remarquable, Gill Whitty-Collins, ex Sénior Vice-Présidente chez Procter & Gamble, lutte activement contre les discriminations de genre en entreprises. À l’occasion de la sortie de son nouveau livre : « Les femmes travaillent, les hommes triomphent », elle nous livre, dans un style direct et affirmé, son analyse. Un ouvrage qui fait directement écho aux parcours des femmes que nous accompagnons chez Ninne.

 

50% de la population, c’est 50% de représentation, s’il vous plaît !

 

  • Racontez-nous votre parcours

Je suis née au Royaume-Uni près de Liverpool. J’ai fait mes études à l’Université de Cambridge, puis j’ai travaillé pour Procter & Gamble où je suis devenue Sénior Vice-Présidente du secteur Beauté de cette multinationale. J’ai écrit mon dernier livre, en 2022, « Why men win at work » – « Les femmes travaillent, les hommes triomphent » pour traiter des discriminations invisibles visant à saborder le succès des femmes en entreprise. Je suis membre du Conseil d’administration, administrateur non exécutif, également conférencière, consultante et coach.

 

  • Vous parlez d’un déclic qui vous a permis de prendre conscience de la discrimination entre les femmes et les hommes. Pouvez-vous nous en dire plus ?

J’ai eu beaucoup de chance. Pendant toute la première partie de mon parcours professionnel, j’ai pu mener une belle carrière sans être freinée par de quelconques problèmes de discriminations. C’est vraiment lorsque je suis arrivée au niveau de Sénior Vice- Présidente que j’ai dû faire face, pour la première fois, à une culture majoritairement masculine. D’un seul coup, j’étais face à 80% d’hommes qui composaient les réunions de Conseil d’administration et de Comités de direction auxquelles j’assistais. J’ai senti que cela avait un impact sur moi et les autres femmes qui y participaient – nous n’étions tout simplement pas en mesure de contribuer et de réussir de la même manière que les hommes.

 

  • Vous dites : « Je suis furieuse et je suis déterminée à en parler ! » Pourquoi est-ce si important pour vous ?

En effet, je pense que nous ne parlons pas assez de ces sujets. Les femmes représentent 50% de la population et sont tout aussi intelligentes et compétentes que les hommes. Pourtant, nous détenons moins de 10% des postes de direction dans le monde. 7% des PDG sont des femmes et seulement 9% sont des cheffes d’État. Cela signifie que les femmes ne sont pas correctement représentées dans les discussions et les décisions, aussi bien en entreprise que dans la société en général. Nous devons cesser d’accepter cette situation et dire que « 50% de la population, c’est 50% de représentation, s’il vous plaît ! »

 

  • Selon vous, la culture d’entreprise et son pouvoir discriminatoire invisible sont en partie responsables de ce déséquilibre. Pouvez-vous nous donner des exemples ?

Il existe de nombreuses forces invisibles et inconscientes qui créent le « plafond invisible » chez les femmes. Par ailleurs, le sentiment d’appartenance à une certaine culture d’entreprise joue un rôle clé. Si nous nous sentons appartenir à l’entreprise dans laquelle nous travaillons, nous pouvons nous concentrer sur notre performance. C’est une réaction totalement humaine que de s’épuiser à tenter de s’intégrer dans une société, au lieu de se concentrer sur la manière d’utiliser ses compétences pour optimiser sa contribution. Il va sans dire que, dans une culture à dominante masculine, une femme est moins à l’aise et perd en capacité pour atteindre ses objectifs. Ainsi, le pouvoir invisible de la culture d’entreprise laisse souvent croire qu’un homme est plus performant qu’une femme, ce qui n’est pas forcément le cas.

 

  • Quelles sont les principales idées préconçues concernant la capacité des femmes à être leaders ? Et selon vous, comment pourrions-nous changer cette situation ?

Il y a beaucoup d’idées préconçues concernant les femmes, mais la plus importante laisse entendre qu’elles n’ont pas les mêmes capacités pour devenir leaders par rapport aux hommes. C’est pourquoi plus de 90% des postes de direction dans le monde sont donnés aux hommes. Les personnes qui prennent ces décisions pensent que l’homme est plus compétent que la femme qu’ils pourraient choisir. Or, bien évidemment, cela ne peut pas être vrai dans 90% des cas. Les femmes représentent 50% de la population et ont une intelligence, une compétence et même une capacité de leadership égales à celles des hommes. Elles devraient donc être considérées  comme moins performantes dans 50% des cas, mais sûrement pas à 90% ! Tout nous amène à croire que l’homme est un meilleur leader que les femmes, alors qu’en réalité, il est simplement mieux intégré au monde de l’entreprise. Plus à l’aise donc, plus confiant, plus visible, il a même a, souvent, plus de temps dans sa journée pour se consacrer à son travail et constituer son réseau.

Tous ces éléments constituent un cercle vicieux pour les femmes que nous devons briser. La bonne nouvelle est que, lorsque nous comprenons ce système, nous pouvons intervenir pour changer les choses.

 

  • Vous citez Michael Kimmel, un sociologue américain spécialiste des études de genre. Lorsqu’il se met à la place des hommes dans leur relation aux femmes, il dit « Vous pouvez nous rejoindre, mais nous ne changerons pas le menu ! » Comment se fait-il que les femmes dans le monde du business suivent les règles édictées par les hommes ?

C’est une réaction totalement humaine et fondamentale que d’essayer de s’intégrer dans une entreprise. Lorsque nous nous sentons différents, nous recherchons des points d’appui qui nous rapprochent des autres. Ainsi, lorsqu’une femme se retrouve dans une culture à dominante masculine, elle est naturellement poussée à en suivre les modes de fonctionnement existants, et donc «à accepter le menu» pour s’adapter. Certaines femmes n’en sont même pas conscientes, mais beaucoup estiment qu’elles n’ont pas d’autre choix si elles veulent s’intégrer dans l’entreprise.

Pourtant, les personnes qui réussissent savent très bien que cette manière de faire est tout, sauf garante du succès de l’entreprise. En effet, s’intégrer en « copiant » les autres, signifie que nous ne nous appuyons pas sur nos compétences propres, à savoir celles directement liées à la réussite.

 

  • Vous parlez de la théorie du parapluie, à savoir inviter son patron à voir votre travail sous « votre parapluie ». Que doivent faire les femmes pour devenir dirigeantes ou pour se distinguer tout simplement ?

En effet, la théorie du parapluie est la suivante : d’où nos dirigeants sont assis, ils ne voient pas notre travail, mais juste le haut de nos parapluies. Donc, parfois, nous devons les inviter à voir ce qui se passe en dessous. Sinon notre carrière risque d’être très frustrante. En effet, nous voyons fréquemment d’autres collaborateurs (souvent des hommes) obtenir la promotion tant attendue, tout simplement parce qu’ils maîtrisent mieux la théorie du parapluie. Les hommes savent très bien que réussir ne se limite pas à effectuer son travail, mais à le rendre visible, en se rendant soi-même visible pour devenir connu et reconnu.

Mon conseil aux femmes en entreprise, quel que soit leur niveau : partagez votre travail avec votre « boss », obtenez son avis, et une fois intégré dans le processus, vous pourrez lui montrer l’excellent travail que vous faites.

 

  • 7% des postes de direction sont occupés par des femmes. Comment faire pour devenir une de ces « Super 7% women » dirigeante de haut niveau ?

Tout d’abord, ces « super 7% women » connaissent leurs forces et leurs « super pouvoirs », elles en tirent profit et se tiennent à l’écart du reste. C’est leur « noyau de confiance ». Si elles rejoignent une entreprise dans laquelle elles ne sont pas valorisées, elles se disent que le problème réside dans l’entreprise et qu’il ne s’agit pas d’elles. Elles ont la confiance nécessaire pour partir et proposer leurs talents ailleurs.

Ensuite, pas une seule de ces femmes ne supporte le fardeau du travail non rémunéré qui concerne la maison et la famille. Soit, elles ont choisi de ne pas avoir d’enfants, soit elles ont un partenaire qui a restreint sa propre carrière pour assumer cette logistique, soit elles ont embauché une aide pour s’occuper des enfants, du ménage, etc. Il est vraiment important que les femmes le sachent, il n’est pas possible d’être PDG à la maison et au travail, il n’y a tout simplement pas assez d’heures dans une journée.

 

  • Selon vous, à quoi devrait ressembler le monde de l’entreprise dans un monde idéal ? Cela correspondrait-il à la, philosophie de votre père auquel vous dédiez votre livre comme étant le premier « féMANiste » que vous avez rencontrez ? 

Le monde idéal aurait une représentation de 50% des femmes jusqu’au sommet de la pyramide de l’entreprise. Mon père était le premier féMANiste que j’ai connu, il avait trois filles et il savait que nous étions les égales de n’importe quel garçon ou homme. Pour lui, il était tout à fait logique que les femmes soient représentées à tous niveaux. Pourquoi ne le seraient-elles pas ? J’aimerais qu’il y ait plus d’hommes comme lui.

Nous avons perdu mon père il y a quelques mois. Il n’a rien vu de vraiment proche de l’égalité des sexes en entreprise, et peut-être que moi non plus, ça ne m’arrivera pas, mais, je n’arrêterai jamais de me battre pour cela. Notamment parce que je le lui dois. Je ne m’arrêterai pas jusqu’à ce que nous soyons égaux.

 

Newsletter https://gillwhittycollins.com/join

Website https://gillwhittycollins.com

LinkedIn http://linkedin.com/in/gillwhittycollins

Instagram @gillwhittycollins

Twitter @gwhittycollins