Céline Alix Ninne Communication

Pourquoi une fois enfin parvenues à obtenir un poste à responsabilité dans une grande entreprise, un nombre de femmes de plus en plus important décide de tout quitter ? Pourquoi ce retour apparent à la « case départ » ? C’est ce que Céline Alix, autrice de Merci mais non merci met en lumière dans son livre. Un véritable phénomène de société jusqu’alors inconnu.

Lorsque j’ai lu le livre de Céline Alix, je me suis pleinement reconnue. L’intégration au comité de direction dans une entreprise du CAC 40 pour finalement tout arrêter et monter ma propre boîte. Jusqu’à la lecture de ce livre, je réalise que j’avais gardé un goût amer. Pourquoi avais-je lâché ce que j’avais mis tellement d’efforts à construire. L’analyse fine et détaillée de Céline Alix m’a permis de mieux comprendre ma situation à travers celle des femmes qu’elle interviewe et de déculpabiliser. Enfin, ce livre ouvre la voie d’une nouvelle réussite sociale pour les femmes. Alors Merci Céline !

En rencontrant Céline Alix, j’ai eu la chance de découvrir une femme pétillante, drôle et directe. Elle répond sans détours à mes questions.

 

  • Comment vous est venue l’idée d’écrire ce livre ?

Il y a près de dix ans, j’ai quitté la profession d’avocate après avoir exercé dans de prestigieux cabinets anglo saxons à Paris, Londres et New York. Pendant très longtemps, j’ai gardé une sensation de gâchis. Des années encore après, je ne parvenais toujours pas à me définir autrement que par mon ancienne profession. Et puis à 45 ans, j’ai voulu dépasser ce sentiment d’échec. J’ai décidé que ça suffisait. Si je n’avais pas continué sur cette voie, j’avais ma propre réussite. – Aujourd’hui, Céline est à la tête de Claritas, une entreprise de traduction juridique – 100% féminine – qu’elle a créée en quittant son métier d’avocate.

En parallèle, j’ai découvert qu’une avocate sur trois quittait ce métier dans les dix premières années d’exercice. Par ailleurs, alors que la profession d’avocats se féminise de plus en plus seulement 17% de femmes sont associées tandis que 83% sont des collaboratrices.

En y regardant de plus près, j’ai observé que ce qui se passait dans ma profession s’était généralisé et touchait tous les secteurs. J’ai donc interviewé une cinquantaine de femmes nées entre 1965 et 1981 pour mieux comprendre ce qui se passait. »

 

  • Quel message envoient les femmes que vous avez interviewées finalement ?

On peut effectivement se poser la question du message laissé par ces femmes. Est-ce une façon de baisser les bras et de se dire que le monde du travail reste un monde d’hommes ? Est-ce qu’elles ne sont pas assez ambitieuses, pas assez capables ? Est-ce qu’elles n’ont pas la carrure ? En réalité, le monde du travail est un monde créé par les hommes pour les hommes donc très masculin. Je pense qu’après avoir intégré de tels codes, ces femmes, en quittant leur poste à responsabilité ont décidé de créer leur propre modèle de réussite professionnelle.

A l’inverse du modèle américain dans lequel les femmes quittent l’entreprise pour devenir mère à temps plein, en France, les femmes ayant eu des postes haut placé n’ont jamais voulu arrêter de travailler. Pour la plupart, elles ont continué dans le même domaine, parfois avec les mêmes équipes. Elles souhaitent donc vraiment s’extraire d’un système dans lequel, elles ne se retrouvent pas.

 

  • Comment expliquez-vous ce phénomène de société ?

Pour comprendre ces femmes il faut savoir qu’elles répondent pour la plupart à un désir de carrière des parents. D’un côté, les mères leur avait transmis la peur d’être dépendante financièrement associée à la volonté d’aller le plus loin possible professionnellement, tandis que de l’autre les pères les incitaient à suivre leurs traces au minimum.

Toutes répondent aux critères de la bonne élève, travaillant comme une folle et donnant d’excellents résultats. Elles sont d’ailleurs aussi ambitieuses que les hommes et souvent identifiées comme jeunes talents au sein de l’entreprise.

 

  • Pourquoi des femmes qui apparemment aiment leur travail quittent leur job en pleine ascension ?

Une fois arrivées au sommet, elles se sentent comme des « invitées » voire même tolérées plus que faisant réellement partie d’une équipe. Également parfois victimes de comportements discriminatoires et sexistes. Elles se sont heurtées à des codes vieillots manquants d’efficacité, ne correspondant pas à leur idée de la réussite comme la culture du présentéisme. Certaines prennent pour exemple les réunions où « les hommes s’écoutent parler et ont tendance à monopoliser la parole ou à couper les autres ».

La plupart aimaient leur profession mais pas la manière de l’exercer.

Autre source de tension, comment gérer ses enfants tout en travaillant. Alors que les pays nordiques ont largement traité du sujet, en France il appartient aux femmes de gérer les conséquences de la féminisation du travail. On considère que c’est LEUR problème !

Je raconte souvent l’exemple significatif d’une femme que j’ai interviewée.

Son CODIR avait lieu tous les lundis à 9h mais elle emmenait ses enfants à l’école au même moment. Il lui a été répondu que ce n’était pas grave ! Ce qui souligne deux choses :

1-    Aucun des autres membres du CODIR ne partageait le même problème…

2-    Sa présence était moins importante.

Du coup l’insatisfaction permanente est née : pas assez performante au travail ni vraiment disponible à la maison.

Un dédoublement permanent usant, la fameuse charge mentale.

 

  • Alors quel est le role model à suivre ?

En tout cas sûrement pas celui de superwoman, pourtant longtemps mis en avant par l’entreprise! La femme à l’image parfaite qui réussit tout aussi bien au niveau professionnel que familial, non merci !

Nous ne souhaitons pas nous identifier non plus au modèle des femmes qui pour s’intégrer dans l’entreprise ont voulu s’assimiler aux hommes en adoptant leurs codes à l’extrême, mêlant souvent des comportements tyranniques et peu solidaires des autres femmes.

Aujourd’hui, nous ne voulons plus travailler entourées de relations toxiques, nous recherchons un esprit collectif basé sur la complicité voire la sororité.

Le seul modèle que je vois est celui de créer son propre modèle de réussite au féminin. Et à mon avis, ce sont ces femmes-là qui vont devenir les roles models des générations futures.

Ces femmes ont non seulement réussi à se hisser en haut de la pyramide mais également ont su s’en extraire pour construire ce qu’elle voulait. Nous sommes dans une période charnière du féminisme, j’en fais le pari.

Comme le dit une de mes interviewées : « Si les femmes ne sont pas satisfaites des modèles mis à leur disposition, elles peuvent imaginer leur propre monde. » Et aujourd’hui, avec la pandémie, c’est encore plus vrai, on recherche à tout prix l’équilibre vie privée vie professionnelle. D’ailleurs, la jeune génération souhaite s’identifier à une personne qui aurait « réussi » dans ces deux sphères.

 

  • Vous savez que Ninne Communication a pour objectif d’augmenter la visibilité des femmes dirigeantes. Qu’en pensez-vous ?

Je pense qu’aujourd’hui, le fait de changer de modèle de réussite nécessite d’être visible autrement et d’assumer une nouvelle image.

 Ce nouveau modèle de réussite au féminin, c’est une nouvelle façon d’être visible.

En faisant un pas de côté, les femmes que j’ai interviewées ont accédé à une liberté incroyable mais ont perdu un statut social. Elles acceptent donc de se montrer telles quelles sont. Elles n’ont plus l’image d’une grande entreprise comme faire valoir. Elles ne sont plus dans l’apparence. En ayant monté leur propre structure, leur visibilité, leur image, c’est elles. Elles incarnent le courage d’avoir quitté un système, un type de réussite pour se montrer telles qu’elles sont véritablement.